La Commission européenne a apporté des précisions sur la mise en œuvre du règlement SFDR. En France, le Comité du label ISR a dévoilé son projet de refonte, soumis à consultation. Autant de nouvelles règles à digérer pour les gérants d’actifs.
Elle était attendue depuis des mois. La réponse de la Commission européenne aux questions formulées par les Autorités européennes de surveillance (AES ou ESAs) en septembre 2022 est tombée le 17 avril dernier.
L’une des précisions guettée par tous les gestionnaires de fonds consistait en une définition circonstanciée de la notion d’investissement durable, centrale dans le règlement SFDR.
En effet, depuis le 1er janvier 2023, toutes les sociétés de gestion doivent mentionner dans leur documentation précontractuelle la proportion d’investissement durable contenue dans leurs fonds article 8 ou 9. En outre, les supports catégorisés article 9 doivent afficher un ratio de 100 % d’investissement durable. Une contrainte qui avait poussé de nombreux acteurs à rétrograder une partie de leurs fonds en article 8.
Pour rappel, le texte européen définit un investissement durable comme étant un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental ou social, sans causer de préjudice significatif à d’autres objectifs environnementaux ou sociaux (principe de DNSH – do no significant harm) et dans une entreprise qui applique de bonnes pratiques de gouvernance.
Des principes pouvant donner lieu à de multiples interprétations. « La réponse de la Commission est une non-clarification, prévient d’emblée Mathilde Dufour, directrice de la recherche ESG chez Mirova. Le seul véritable éclaircissement porte sur le fait de savoir si la part d’investissement durable à prendre en compte au niveau des fonds correspond à la part des activités alignées d’une entreprise, ou bien si l’on peut comptabiliser l’entreprise dans son entièreté. C’est le deuxième cas de figure qui est retenu.»
L’approche est donc binaire. « Si une partie du chiffre d’affaires d’une entreprise contribue à un objectif environnemental ou social, alors l’intégralité de l’entreprise peut-être considérée comme un investissement durable », explicite Nathaële Rebondy, responsable de la durabilité pour l’Europe chez Schroders.
Des seuils minimums d’activité contribuant à ces objectifs devraient être retenus par les gérants, mais ceux-ci n’ont pas été donnés.
La liberté est laissée aux gérants
Autre question qui taraudait les gérants de fonds : la notion d’investissement durable se rapporte-t-elle uniquement à l’activité de l’entreprise ou bien aussi à ses pratiques?
Etonnamment, les deux formes de contribution sont autorisées. « C’est plus facile de démontrer par l’activité, mais si l’on prend la dimension sociale, les impacts positifs sont bien plus souvent liés à la façon d’opérer qu’à la nature de l’activité », commente Mathilde Dufour.
Enfin, la Commission précise aux sociétés de gestion que les reportings sur les indicateurs de PAI (principales incidences négatives), utilisés pour réaliser le test de DNSH, ne peuvent se limiter à des éléments chiffrés.
« Il faut prendre des mesures pour réduire l’impact du portefeuille dans le temps, indique Nathaële Rebondy. Cela peut passer par de l’engagement et du vote. »
L’absence de méthodologie coercitive rassure plutôt la profession, chacun pouvant adopter l’approche lui paraissant la plus adaptée.
« La Commission européenne (re)-place le règlement SFDR en lien avec sa raison d’être initiale, à savoir une réglementation de transparence, et non une nouvelle forme de labe-llisation », estime Clément Bladier, président de la NEC (Net Environ-mental Contribution) Initiative.
En outre, l’alternative à cette vision aurait pu être handicapante pour les gérants. «L’autre solution aurait été de coller à la taxonomie, ce qui aurait été trop restrictif, pointe Mathilde Dufour. Cela aurait signé la fin des fonds article 9, qui doivent détenir 100% d’investissement durable.»
D’autant que la taxonomie est encore loin d’être aboutie , et que les entreprises ne communiquent pas encore sur l’intégralité de ce référentiel.
« Actuellement, les entreprises doivent communiquer leur éligibilité sur les deux premiers piliers du texte, et leur alignement en 2024, précise Nathaële Rebondy. Cette absence de données fait que nous ne reportons pas sur la taxonomie au sein de nos fonds, d’autant que les estimations que nous pouvons obtenir de fournisseurs de données ne sont pas suffisamment fiables.»
L’autre inconvénient d’un texte trop prescriptif aurait été de diriger les fonds durables sur un cercle restreint de valeurs.
«Si tout le monde adopte la même méthodologie, alors on investit tous dans les mêmes entreprises, note Nathaële Rebondy. Et si cette définition est très pointue, alors on se concentre sur une poignée d’entreprises extrêmement vertueuses. Mais que fait-on de toutes les autres, celles qui sont en transition ?»
Malgré cela, le défi reste grand pour les sociétés de gestion qui doivent répondre à leurs exigences réglementaires. « Ce qui manque, c’est un aspect pédagogique, une grille de lecture, pour aider les gérants à remplir l’annexe précontractuelle et leurs reportings périodiques, considère Sabrine Aouida, responsable de l’expertise ESG chez WeeFin. Ils ont encore beaucoup de difficultés à faire cet exercice.
Ainsi, sur 125 documents analysés en interne, nous avons constaté que seuls 20% d’entre eux étaient correctement remplis. Même des sociétés de gestion très avancées sur le sujet peuvent rencontrer des difficultés pour transcrire leur stratégie d’investissement dans SFDR.»
La prochaine mouture devrait être plus aboutie, car les sociétés de gestion auront eu plus de temps pour digérer les textes et rédiger ces annexes.
Des exclusions pour le label ISR
En parallèle de ce chantier, les sociétés de gestion sont confrontées à l’évolution du label ISR français. Le 18 avril dernier, le Comité du label ISR a proposé son projet de refonte, qui était ouvert à consultation jusqu’à fin mai. Il repose sur trois axes principaux :
Une sélectivité accrue (de 20 à 30% de l’univers) et la pratique d’exclusions (charbon et fossiles non conventionnels notamment) ;
L’exigence de double matérialité dans la gestion des fonds labellisés via les PAI et enfin l’intégration systématique de la politique climat. L’idée d’un label avec plusieurs niveaux est en revanche écartée pour le moment.
« Certaines exigences, comme le taux de sélectivité relevé et les exclusions à partir d’un niveau de chiffre d’affaires de 5%, sont assez strictes, se réjouit Sabrina Aouida. C’est un grand pas en avant !»
Difficile toutefois de contenter tous les protagonistes. « C’est une décision en demi-teinte sur la question des exclusions, juge pour sa part Clément Bladier. Le Comité du label s’est rangé à l’avis de l’Inspection générale des finances, qui recommandait l’exclusion du charbon et des énergies fossiles non conventionnelles, sans aller plus loin.
Exclure toutes les énergies fossiles (conventionnelles et non conventionnelles) aurait permis d’envoyer un message bien plus fort et percutant sur le niveau d’engagement climatique des fonds labellisés ISR.» Plus largement, Mathilde Dufour estime que « les avancées ne sont pas à la hauteur des enjeux ».
Sur le plan opérationnel, les gérants rejettent la proposition qui consiste à prendre en compte au minimum 20% chacune des trois dimensions E, S et G pour garantir l’équilibre des portefeuilles sur les trois piliers.
« C’est une approche très ISR du passé, qui ne garantit en rien que l’on cherche à éviter les impacts négatifs sur l’ensemble des dimensions », commente Mathilde Dufour.
Même constat chez Schroders. « Ce n’est pas cohérent avec nos outils et nos méthodologies, indique Nathaële Rebondy. Il serait préférable d’avoir à démontrer que l’on prend en compte les trois piliers, sans recourir à des seuils arbitraires.»
A ce stade, le nombre de fonds parmi les 1174 supports labellisés ISR passant les filtres de ce projet de référentiel n’est pas connu.
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Source: Funds Magazine| 7 Juin 2023 | Aurélie Fardeau.
Lire l’article en version PDFNathaële Rebondy, responsable de la durabilité pour l’Europe chez Schroders.
Mathilde Dufour, directrice de la recherche ESG chewMirova.